Par M.K. Bhadrakumar - Le 7 février 2025 - Source Indian Punchline
Sylvie Bermann, ancienne diplomate de carrière distinguée en France, a récemment écrit un éditorial dans le principal journal financier, Les Echos, selon lequel un nouveau chapitre de « géopolitique transactionnelle » a commencé avec Donald Trump.
Des événements extrêmement improbables peuvent être attendus, métaphoriquement appelés « cygnes noirs«. La théorie dite du « cygne noir » caractérise des événements qui surprennent, ont un effet majeur, mais ne peuvent être rationalisés qu'après coup, avec le recul.
On peut dire que le 4 février, un cygne noir est apparu à la Maison Blanche, alors que le président Donald Trump signait un Mémorandum présidentiel sur la sécurité nationale (NSPM) rétablissant la "pression maximale" sur l'Iran, refusant à ce pays "toutes les voies vers une arme nucléaire."
Une fiche d'information de la Maison Blanche détaille que le NSPM établit le truisme suivant:
- « L'Iran devrait se voir refuser l'arme nucléaire et les missiles balistiques intercontinentaux";
- "Le réseau terroriste iranien devrait être neutralisé« ; et,
- "Le développement agressif de missiles par l'Iran, ainsi que d'autres capacités d'armes asymétriques et conventionnelles, doivent être contrés."
Ce cygne noir est intriguant. La veille de l'arrivée du Premier ministre Benjamin Netanyahu à Washington mardi, le Jerusalem Post écrivait :
"L'administration Trump est en train de formuler sa politique iranienne, et la visite de Netanyahu à ce stade précoce du deuxième mandat du président lui offre une occasion en or de donner son avis. Et l'Iran reste la menace et le problème numéro un d'Israël...Alors que son administration (Trump) cherche toujours à contenir l'influence régionale de l'Iran et à l'empêcher d'obtenir une arme nucléaire, il y a eu des signes précoces de changements de ton et de priorités.
Ces changements peuvent refléter des divisions internes au sein de l'administration - entre des faucons iraniens comme le Secrétaire d'État Marco Rubio et le Conseiller à la Sécurité nationale Mike Waltz et des isolationnistes comme le Vice-président JD Vance, qui déclarait en octobre :"Notre intérêt est de ne pas entrer en guerre avec l'Iran, c'est là que la diplomatie intelligente compte vraiment."
Quoi qu'il en soit, Trump a décidé de signer le NSPM sans attendre la « contribution » de Netanyahu. De même, Marco Rubio brillait par son absence dans l'équipe de Trump pour les pourparlers avec Netanyahu. Et le vice-président Vance a non seulement aidé Trump lors des pourparlers, mais le président s'est fait un devoir de transmettre ostensiblement son appréciation en le félicitant en présence de Netanyahu et de son entourage, ce qui était frappant.
Et la mère de toutes les surprises est que le document du NSPM évite soigneusement toute menace militaire contre l'Iran. Trump a évité la rhétorique anti-iranienne qui était pourtant une caractéristique de son premier mandat de président. Trump, bien qu'une personnalité mercurielle, n'a pas modifié non plus le réseau complexe de règles de base et de normes de conduite non écrites qui ont empêché l'impasse américano-israélienne vieille de quatre décennies de se transformer en confrontation militaire (ce qu'aucune des deux parties ne souhaite bien sûr).
Pendant ce temps, tout indique que Trump sent que le problème iranien s'est transformée à mesure que la capacité de dissuasion de Téhéran a commencé à augmenter, et n'est plus un défi « autonome » pour les États-Unis, car l'environnement extérieur a changé de façon phénoménale depuis le début de la guerre en Ukraine. La Russie et l'Iran forment aujourd'hui une quasi-alliance. Cela dit, la Russie est également partie prenante de la non-prolifération nucléaire et a des intérêts congruents avec les États-Unis pour que l'Iran respecte le TNP.
Un sens des proportions est toujours nécessaire pour évaluer les tensions américano-iraniennes. Par conséquent, les remarques de Trump après la signature du décret NSPM doivent être bien comprises. Il est évident que c'était une performance soigneusement chorégraphiée par Trump, filmé en parlant avec un œil sur le prompteur - plutôt inhabituel pour Trump qui est célèbre pour dire ce qui lui passe par la tête en de telles occasions.
Trump a parlé calmement, sur un ton mesuré. Il a noté stoïquement « C'est ce que tout le monde m'a dit de signer et j'ai signé. C'est très dur avec l'Iran. La situation en Iran...j'espère que nous n'aurons pas à faire grand-chose. Nous verrons si nous pouvons nous arranger pour conclure un accord avec l'Iran et que tout le monde puisse vivre ensemble. Peut-être que c'est possible, peut-être que ce n'est pas possible."
Trump a poursuivi : « Donc, je signe ceci et je suis mécontent de le faire. Mais je n'ai vraiment pas le choix car il faut être fort et ferme. Et j'espère qu'il ne sera pas utilisé du tout. Nous pourrions avoir un Moyen-Orient et un monde en paix totale. Pour l'instant, nous n'avons pas ça. J'aime avoir la paix partout dans le monde, mais maintenant tu as le monde qui explose."
Trump a répété « Je signe ceci mais, espérons-le, c'est un document important mais qui ne devra guère être utilisé."
Lorsqu'on lui a demandé quel type d'accord est envisagé avec l'Iran, Trump a répondu : "Nous verrons. Ils (ne peuvent pas) avoir une arme nucléaire. Avec moi, c'est simple, l'Iran ne peut pas avoir l'arme nucléaire. Nous ne voulons pas être durs avec l'Iran. Cet (accord) aurait pu être conclu il y a longtemps."
Interrogé sur de prétendus complots iraniens pour l'assassiner, Trump a réagi « Ils (les Iraniens) ne l'ont pas fait. Ce serait une chose terrible à faire. Pas à cause de moi, mais ils seront annihilés. I J'ai laissé des instructions. S'ils le font, ils seront annihilés. Il ne restera plus rien. Si quelque chose de ce genre se produit (de n'importe quel genre), il y aura annihilation totale de cet État - pas seulement de l'Iran... »
Trump a finalement conclu « Alors, je signe ceci. C'est un document très puissant, mais j'espère que je n'aurai pas à l'utiliser. »
En substance, Trump a transmis un message nuancé à Téhéran avant l'arrivée de Netanyahu selon lequel il a une ligne de pensée indépendante, indépendamment de ce que les têtes brûlées de Tel Aviv pourraient dire. Et c'est travailler pour un accord grâce à une diplomatie intelligente - la ligne JD Vance.
Trump comprend que le gouvernement de Massoud Pezeshkian recherche également le dialogue et les négociations. Trump ne croit pas que l'Iran est sur la bonne voie pour développer des armes nucléaires, peu importe la propagande contraire des groupes d'intérêts pro-israéliens.
Téhéran saisira le message nuancé de Trump sur la « géopolitique transactionnelle«. Les responsables iraniens ont salué la remarque de Trump selon laquelle il était prêt à conclure un accord. Le ministre des Affaires étrangères Abbas Araghchi a écrit dans un message sur X : "En plus d'être l'une des parties engagées au TNP et à d'autres traités mondiaux de non-prolifération, l'Iran a déjà explicitement déclaré que « l'Iran ne cherchera en aucun cas à produire ou à acquérir des armes nucléaires«.
Araghchi a ajouté « Obtenir des garanties pratiques que l'Iran n'atteindra pas l'arme nucléaire n'est pas difficile, à condition qu'en retour, des assurances concrètes soient données pour mettre fin efficacement aux actions hostiles contre l'Iran-y compris les pressions économiques et les sanctions."
Téhéran a pris note que Trump n'excluait pas une rencontre avec Pezeshkian. Interrogée sur la remarque de Trump, la porte-parole du gouvernement Fatemeh Mohajerani a déclaré aux journalistes lors d'une conférence de presse à Téhéran mercredi : "Nos relations internationales sont fondées sur les principes de dignité, de sagesse et d'opportunité. Tous les problèmes, en particulier les relations avec les autres pays, sont abordées sur la base de ces trois principes."
En effet, l'Iran a répondu positivement à l'estimation de Trump selon laquelle un accord est possible et fait preuve de flexibilité et de pragmatisme.
M.K. Bhadrakumar
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.